lundi 5 septembre 2011

Les semeurs de troubles sont au pouvoir

Le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos voit une symétrie troublante entre la violence des émeutiers britanniques et celle des politiques d’austérité.

Les troubles violents qui se sont déroulés en Angleterre ne doivent pas être considérés comme un phénomène isolé. Ils constituent un signe troublant des temps actuels. Les sociétés contemporaines sont en train de générer un combustible hautement inflammable qui coule dans les profondeurs de la vie collective sans que l’on s’en aperçoive. Quand il remonte à la surface, il peut provoquer un incendie social aux proportions inimaginables. Ce combustible est un mélange de quatre composants.

L’individualisme et les inégalités. Avec le néolibéralisme, le creusement brutal des inégalités sociales cesse d’être un problème pour devenir la solution. L’ostentation des riches et des très riches est devenue la preuve du succès d’un modèle social qui laisse dans la misère l’écrasante majorité des citoyens, lesquels ne feraient pas les efforts suffisants pour réussir. Cela n’a été possible que parce que l’individualisme a été érigé en valeur absolue.

La marchandisation de la vie. La société de consommation remplace les relations entre des personnes par des relations entre des personnes et les choses. Les objets de consommation ne répondent plus à des besoins mais en créent de nouveaux de façon incessante. Les centres commerciaux offrent la vision spectrale d’un réseau de relations sociales qui commence et finit avec les choses. Le capital, avec sa soif inextinguible de rentabilité, s’évertue à soumettre à la logique du marché des biens que nous avons toujours cru trop communs (l’eau et l’air) ou trop personnels (l’intimité et les convictions politiques) pour être échangés sur le marché. Entre croire que l’argent est à la base de tout et croire que tout est permis pour l’obtenir, il y a un pas beaucoup moins grand qu’on ne le pense. Les puissants franchissent ce pas tous les jours sans que quoi que ce soit leur arrive. Les dépossédés, qui pensent pouvoir faire de même, finissent, eux, en prison.

Le racisme sous couvert de tolérance. Les troubles en Angleterre ont commencé avec une dimension raciale. Comme en 1981 [dans le quartier de Brixton, à Londres] et lors des émeutes de 2005 en France. Ce n’est pas une coïncidence ; il s’agit de manifestations visibles de la sociabilité coloniale qui continue à dominer nos sociétés, des décennies après la fin du colonialisme politique. Le racisme n’en est qu’une des composantes, mais elle est importante car elle ajoute à l’exclusion sociale une corrosion de l’estime de soi, l’infériorité de l’être aggravée par l’infériorité de l’avoir. Un jeune Noir de nos villes subit au quotidien une suspicion sociale qui existe indépendamment de ce qu’il est ou de ce qu’il fait. Et cette suspicion est d’autant plus virulente qu’elle a cours dans une société distraite par les politiques officielles de lutte contre la discrimination ainsi que par un multiculturalisme et une tolérance bienveillante de façade. La séquestration de la démocratie. Qu’y a-t-il de commun entre les troubles au Royaume-Uni et la destruction du bien-être des citoyens provoquée par les politiques d’austérité exigées par les agences de notation et les marchés financiers ? Ce sont tous deux des signaux des limites extrêmes de l’ordre démocratique. Les jeunes émeutiers sont des délinquants, mais nous ne sommes pas face à une “criminalité pure et simple”, comme l’a affirmé le Premier ministre britannique David Cameron. Nous sommes face à une dénonciation politique violente d’un modèle sociopolitique qui a des ressources pour sauver des banques et n’en a pas pour sauver la jeunesse d’une vie d’attente sans espoir et du cauchemar d’une éducation toujours plus coûteuse et sans intérêt, étant donné la hausse du chômage, l’abandon total des banlieues, transformées par les politiques publiques antisociales en camps d’entraînement de la haine, de l’anomie et de la révolte.



Entre le pouvoir néolibéral en place et les émeutiers urbains, il y a une symétrie effrayante. L’indifférence sociale, l’arrogance, la répartition injuste des sacrifices sont en train de semer le chaos, la violence et la peur. Et les semeurs diront demain, proprement offensés, que ce qu’ils ont semé n’a rien à voir avec le chaos, la violence et la peur installés dans les rues de nos villes. Les véritables émeutiers sont au pouvoir. 

Boaventura de Sousa Santos, 65 ans, dirige le Centre d’études sociales de la prestigieuse université de Coimbra, au Portugal. Proche du mouvement altermondialiste, il est l’un des intellectuels les plus en vue du monde lusophone. Il tient une chronique régulière dans l’hebdomadaire Visão.
18.08.2011|Boaventura de Sousa Santos 


Recordando o Buzinão na Ponte 25 de Abril

par le  6 mai 2009

Quem assistiu nunca acreditaria que passados poucos anos estas personagens tivessem chegado onde chegaram e tenham sido tão bem recompensadas social e económicamente.


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