"Nous avons le droit de rêver et que cela se réalise" : slogan place Puerta del sol à Madrid, vendredi soir.
Le mouvement espagnol, dit « du 15M », est significatif de la situation économique du pays et de sa jeunesse. Au cours des années de croissance et d'abondance, cette dernière ne s’était mobilisée que pour défendre le boteïïon (pratique de consommation d'alcool en groupe sur la voie publique) et contre les attentats de 2004. Personne ne comprenait pourquoi la jeune génération ne descendait pas dans la rue pour dénoncer ses problèmes persistants d'emploi, de précarité et de logement.
Depuis la crise de 2008, une ambiance d'inquiétude et d'insécurité sociale s'est installée : parents licenciés brutalement, membres de la fratrie au chômage, diminution voire suppression des aides de l’État providence, et difficultés grandissantes d'accès au travail et au logement. Les jeunes, accusés à tort d'être des «ni-ni» (ni travaillant ni faisant des études) ont vu le paysage social changer, ce qui les a poussés enfin à se mobiliser. Leur mouvement montre qu'il s'agit plutôt d'une génération «sans» : sans parti, sans leader, sans logement et sans emploi.
Dans tous les cas, ce sont des «enfants sages», majoritairement étudiants ou nouveaux diplômés de la classe moyenne, qui ont réussi à se rassembler sans violence et dans une ambiance bonne enfant. Il serait probablement impossible de réunir autant de personnes de façon aussi pacifique dans la majorité des pays européens. Les jeunes ont montré par ailleurs qu'ils savent s'autocontrôler et se gérer. Ils ont interdit l'alcool pour éviter les troubles à l'ordre public, mis en place un service de propreté, une crèche, de la distribution de nourriture, une bibliothèque... Ils sont volontaires et organisés, peut-être même trop pour être considérés vraiment contestataires. Ce n'est pas un mouvement de la jeunesse contre les aînés dans une «guerre» des âges. Au contraire, les générations sont mélangées, solidaires et communément indignées. La société espagnole est intégrée et profitant d'une vraie cohésion sociale, intergénérationnelle et familiale. Les parents soutiennent en temps normal leurs enfants en les laissant habiter tardivement sous le même toit, en les aidants à payer leur logement, en gardant les petits enfants... Ils sont présents une fois de plus à la Puerta del Sol madrilène et dans les autres villes où il y a des campements. Inquiets pour l'avenir des leurs, ils soutiennent le mouvement.
Qu'elle que soit l'issue de la mobilisation, aujourd'hui imprévisible, elle a permis de témoigner publiquement que les jeunes souhaitent s'intégrer, travailler et avoir un emploi stable, fonder une famille, se loger et surtout ne pas rester en marge de la société. Il ne s'agirait finalement pas d'un embryon du «printemps européen de la jeunesse », mais tout simplement, et pour une grande majorité, de jeunes gens sages souhaitant rentrer dans le moule le plus rapidement possible. Finalement, il pourrait s'avérer décevant, pour de nombreuses personnes, qu'il ne s'agisse pas d'une remise en question profonde de la société.
par Sandra Gaviria (sociologue université du Havre-Cirtai-CNRS)
source : Libération 25/05/2011
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