Planète à vendre : la ruée vers l’or vert
15/04/2011 par David NaulinLes crises alimentaire et financière de 2008 ont provoqué une incroyable course pour la mainmise sur les terres cultivables partout dans le monde. Plus de cinquante millions d’hectares ont déjà changé de mains. Des industriels, des financiers, et même des gouvernements de pays riches cherchent à produire, voire à délocaliser leur agriculture, dans les pays pauvres. Ces mêmes pays qui parfois n’arrivent pas à nourrir leur propre population... Arte à diffusé mardi une remarquable enquête sur un phénomène qui s’accélère, de l’Arabie Saoudite à l’Uruguay, des États-Unis à l’Éthiopie.
En 2009, 50 millions d’hectares de terres arables ont changé de main dans le monde et des dizaines de millions d’autres sont sur le point d’être cédés. Avec la croissance programmée de la population mondiale (9,2 milliards en 2050) et la raréfaction de certaines ressources naturelles, la demande pour les produits agricoles va augmenter en flèche. À partir de 2008, la flambée des prix alimentaires et les révoltes qu’elle a provoquées un peu partout dans les pays pauvres, conjuguée à la crise financière, ont accéléré le phénomène. Désormais, les gouvernements qui dépendent majoritairement des importations pour nourrir leur population, ceux qui craignent pour leur autosuffisance alimentaire, mais aussi les multinationales de l’agroalimentaire et les investisseurs internationaux (banques et fonds de pension) se ruent sur les terres cultivables partout où elles sont à vendre. Et la nécessité nourrit la spéculation. Ainsi, une nation comme l’Éthiopie, qui recourt à l’aide internationale pour nourrir sa population, n’hésite pas à brader ses terres.
Du premier échelon (représentants des gouvernements et des organisations internationales) au dernier (les petits paysans) en passant par les hommes d’affaires et les militants altermondialistes, Alexis Marant, Prix Albert-Londres 2006, a mené une enquête rigoureuse pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette ruée vers l’or vert. Au plus près des réalités concrètes d’un marché multiforme et mondial, de la Bourse de Chicago à un bidonville de Montevideo, ses belles et fortes images laissent s’exprimer tous les points de vue. Mais le constat est implacable. Si, après l’industrie et les services, comme le résume l’homme d’affaires indien Ram Karuturi, la "troisième vague de délocalisations" est en marche, elle concerne désormais un bien aussi vital que symbolique. Lui-même a acquis quelque 300 000 hectares de terre en Afrique de l’Est pour vendre des roses à l’Europe, et bientôt du riz au monde entier. Le film montre ainsi une monoculture intensive s’installer sur les terres ancestrales de villageois qui n’ont d’autre choix que de louer leurs bras pour quelques centimes d’euros ou de migrer. Peut-on laisser la sécurité alimentaire dépendre de la seule logique du profit ? Si Jacques Diouf, de la FAO, pointe "le risque d’un néocolonialisme agraire", Alexis Marant montre également l’absence totale de contre-pouvoirs, sinon celui que représente l’information.
En 2009, CDURABLE.info avait déjà traité de l’accaparement des terres arables avec un article intitulé Land grabbing au Kenya : main basse sur les terres du delta du Tana. Pour le consultez, cliquez ici. Vous y retrouvez notamment un reportage vidéo retraçant la main mise chinoise de terres arables en Afrique.
En 2010, CDURABLE.info relayait une campagne d’Oxfam France et de Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières toujours d’actualité : Privés de terre, privés d’avenir : l’agriculture paysanne face à l’accaparement des terres et au changement climatique. Pour en savoir plus, cliquez ici. Vous pourrez notamment retrouver de nombreuses informations sur ce phénomène planétaire.
Entretien
Avec Planète à vendre, Alexis Marant a mené l’enquête sur trois continents pour comprendre comment "un nouvel ordre agricole international" se construit à marche forcée. Entretien.
Quel a été votre point de départ ?
Alexis Marant : L’information révélée en 2008 par Javier Blas, du Financial Times, selon laquelle le groupe sud-coréen Daewoo venait d’acquérir pour quatre-vingt-dix-neuf ans la jouissance de 1,3 million d’hectares à Madagascar, soit la moitié des terres arables de l’île. Une révélation si éloquente qu’elle a entraîné une révolte populaire et, après beaucoup de morts, la chute du président Ravalomanana. L’exemple est spectaculaire, mais il illustre un mouvement mondial : la ruée des investisseurs sur les terres cultivables des pays pauvres. Un nouvel ordre agricole international est en train de se forger : l’agro-business des pays riches et émergents, avec ses monocultures, ses pesticides et ses OGM, prend la place des petits paysans. L’objectif proclamé, c’est de nourrir la planète, qui compte chaque année 79 millions d’habitants de plus, mais aussi de spéculer sur une valeur appelée à devenir ultrarentable. C’est pourquoi, à la suite des États, les fonds de pension et les banques se lancent dans ce grand jeu de Monopoly. J’ai voulu enquêter sur le phénomène dans sa globalité, avec ses mécanismes et ses enjeux.
Comment avez-vous procédé ?
Mon parti pris était de rester le plus concret possible en filmant sur le terrain pour montrer, à travers des lieux et des personnages, que mondialisation ou pas, il y a toujours des volontés humaines à la base des processus économiques présentés comme inéluctables. J’avais défini trois profils d’investisseurs qui devaient accepter d’être suivis dans la durée : un investisseur téléguidé par son État pour répondre à des objectifs d’autosuffisance alimentaire ; un entrepreneur de l’agro-industrie venant d’un pays émergent ; et un représentant du monde de la finance. Les trouver a demandé beaucoup de temps car le monde des affaires, qui répugne toujours à s’exposer, savait parfaitement que le sujet n’a pas bonne presse. Mais grâce au soutien d’ARTE, j’ai pu passer un an et demi sur cette enquête. Les personnages ont déterminé les principaux lieux de tournage (Arabie Saoudite, Éthiopie, Argentine, Uruguay, New York et Rome).
Vous montrez que les contre-pouvoirs sont bien faibles...
L’information en est un, mais elle ne suffit pas. La Banque mondiale a publié en septembre un code de conduite minimal qui ne prévoit aucune mesure contraignante. Il s’accompagnait pourtant d’un rapport très critique sur l’accaparement des terres qui, comme il contredit le dogme libéral de la Banque, n’est sorti qu’en catimini. Quand on voit combien il est difficile de mobiliser la communauté internationale pour empêcher Kadhafi de tuer sa population, on comprend qu’il y a peu de chance de l’amener à réagir sur un phénomène comme celui-là, qui ne fait pas de bruit et pas de morts. Pourtant, il en va du sort de millions de personnes.
in http://cdurable.info
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