04/04/2011 20:30
À seulement 25 km de la centrale accidentée de Fukushima, des habitants ont choisi de rester chez eux et affrontent le danger et la solitude avec fatalisme
La jeune mère Mari Takakura et son fils Ryuto (Guillaume BRESSION) |
Un masque blanc sur le nez, Ryuto escalade précipitamment les marches du toboggan. Jamais l’enfant de 2 ans n’avait autant exulté dans une aire de jeux. « Ça fait longtemps qu’on n’est pas venu au parc », commente simplement Mari, sa mère.
Ici, à Minamisoma, les habitants sont tenus de rester calfeutrés chez eux autant que possible. Autant dire l’enfer pour un enfant. Mari et son fils habitent à quelque 25 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima, la plus dangereuse de l’histoire depuis Tchernobyl.
Dès le début de l’alerte nucléaire, le 15 mars, leur ville a été placée en zone de confinement dite «zone jaune», située à entre 20 et 30 kilomètres de la centrale. Comme ses voisins et ses amis, Mari a alors pris la fuite avant de revenir : son exil était devenu intenable.
« Dans l’appartement de ma sœur, mon fils n’avait pas le droit de jouer ni de faire de bruit. Et puis, je me suis rapidement retrouvée à court d’argent et je ne pouvais plus travailler parce que personne ne pouvait garder Ryuto. Alors, je suis rentrée. »
« De mes voisins et de mes amis, il ne reste personne »
Ici, à Minamisoma, elle travaille avec ses parents dans l’une des rares supérettes ouvertes de la ville. Ryuto reste à l’appartement avec sa grand-mère ou patiente dans le magasin. Mari, elle, tente d’oublier la proximité de la centrale.
« Je ne regarde plus la télévision, poursuit la jeune femme de 28 ans. De toutes les façons, je ne peux rien y faire. » Elle tâche de bien frotter les cheveux et le corps de son garçon pour le décontaminer et ne lui donne que de l’eau minérale.
Le premier ministre Naoto Kan a demandé à plusieurs reprises aux habitants de la zone de confinement de quitter les lieux de leur plein gré, non à cause des risques de radiations mais parce que la vie est devenue trop difficile dans le périmètre. « De mes voisins et de mes amis, il ne reste personne », admet-elle dans un sourire amer.
Minamisoma, tout comme les villages de la « zone jaune », a des airs de ville-fantôme. Mis à part la supérette des parents de Mari, tous les magasins et les entreprises sont fermés. La rentrée des classes prévue ces jours-ci a été annulée et le personnel hospitalier a déserté.
« Sur les 70 000 habitants de la ville, il en reste moins de 20 000 aujourd’hui, résume le maire de la ville, Katsunobu Sakurai. 1 500 sont portés disparus du fait du tsunami et près de 50 000 ont été évacués. »
En contact régulier avec le premier ministre et les parlementaires, cet ancien agriculteur s’est retrouvé en première ligne dans le triple châtiment que subit l’archipel : séisme, tsunami et menace nucléaire. Il porte toujours dans la poche avant de sa veste un dosimètre qui mesure le taux de radioactivité en temps réel.
La ville est en sursis
Sa ville est en sursis. Si la situation se dégrade brutalement à la centrale, les habitants peuvent être évacués à tout moment. Les soldats des Forces d’auto-défense ont même commencé à faire du porte-à-porte pour vérifier qui est capable ou non de partir par ses propres moyens. « Environ 10 % des habitants seraient incapables de fuir », estime un militaire.
La patrouille en profite pour demander aux résidents ce dont ils ont besoin. « De l’essence et des médicaments, répond Masaharu, un ancien employé de la Tepco. Aujourd’hui, je dois faire plus de 80 kilomètres pour trouver des médicaments, mais dans ce cas, je gaspille de l’essence. On ne s’en sort pas. » Lui assure qu’il restera chez lui quoi qu’il arrive. « Je ne partirai pas, même s’ils demandent d’évacuer. Je sais que la centrale ne va pas exploser », explique-t-il tranquillement aux militaires.
Ceux qui restent affichent un fatalisme serein ou un optimisme à toute épreuve. Ryuichi et sa femme Miyoko s’étonnent que les Tokyoïtes et les résidents étrangers s’exilent.
« Quand on tombe sur un serpent, ce n’est pas la peine de partir en courant. Il suffit de reculer d’un mètre », sourit ce cafetier à l’ancienne en versant de l’eau chaude depuis sa bouilloire en cuivre sur le café. « Si on est plusieurs à garder nos commerces ouverts, les gens vont revenir. Et d’autres commerces et entreprises rouvriront à leur tour », espère-t-il.
Claire Voeux in www.la-croix.com
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