jeudi 5 mai 2011

"The Other Hollywood - L'histoire du porno américain par ceux qui l'on fait"


Le sous-titre du livre - "L'histoire du porno américain par ceux qui l'on fait" - est des plus explicites. Ce pavé fort élégamment édité, mais sans photos X, est l'aboutissement de sept années de travail ; une somme d'entretiens avec les acteurs, réalisateurs, producteurs et agents de la répression de cette industrie née à la fin des années 1960, jusqu'à son déclin, quarante ans plus tard. Pas de baratin ni d'analyse, juste des faits, des anecdotes, montés comme dans un film documentaire qui s'interdirait les monologues. L'un des auteurs donne le ton quand il explique avoir essayé de "raconter l'histoire de cette relation obsessionnelle d'amour-haine entre l'Amérique et le sexe par la voix de ceux qui l'ont incarnée". Ce qui exclut, of course, toute tentative de diabolisation.


Le réalisateur John Waters remonte aux sources : avant le porno, il était une fois le cinéma nudiste. Ce genre pathétique contraignait les acteurs masculins à tourner le dos à la caméra lors des parties de volley, et proscrivait "les cornichons et le castor" - terminologie désignant les organes génitaux. Vint un jour où un certain Chuck Traynor créa un bar à serveuses nues, où il se passait "pas mal de choses étranges", dont des "tombolas de poules", avec partouzes après la fermeture. Alors que les nudie-cuties qui circulent à l'époque ne contiennent que des scènes de sexe simulées, cet homme-là commence à tourner des petits films en 16 mm, des "loops", en hardcore, faisant le coq, en particulier avec sa femme, qu'il fait copuler avec un chien. Celle-ci, Linda Lovelace, qu'il ne trouvait pas glamour, précise : "Quand je vivais avec Chuck, mon meilleur ami, c'était mon vibromasseur." C'est l'un des sucs du livre que cet éventail de souvenirs où les témoignages divergent.

The Other Hollywood est un livre drôle, où la frénésie d'amour libre se traduit par des comportements ridicules, et où se succèdent dans un désordre baroque revendications syndicales, défonces ou concepts de friandises. Celui de "gorge profonde" est dû au sieur Damiano. Son film Deep Throat (1972) est un tel succès que la Mafia déboule pour gérer la distribution en salles. Deux gangs s'affrontent : Gambino contre Bonanno. Intimidations, meurtres, racket, vols de stars ("Je me suis fait piquer ma bourgeoise", pleure Chuck Traynor en voyant partir Linda Lovelace pour un cabaret de Miami).

Affaires de famille

Le roman-feuilleton du porno trouve sa dose de cocasserie dans chaque épisode. L'actrice Marilyn Chambers se laisse convaincre de tourner Derrière la porte verte en confiant, nunuche : "Je pourrais peut-être m'en servir comme d'un tremplin pour faire du vrai cinéma." Et John Holmes débarque avec son engin démesuré, faisant croire à son épouse qu'il s'occupe du son et des éclairages. Reuben Sturman s'enrichit en inventant le concept du peep show. Une fille de 36 ans, Georgina Spelvin, est recrutée pour L'Enfer pour Miss Jones : "J'ai pris le rôle très au sérieux et bien travaillé le personnage." Les hommes mettent leur fiancée au tapin, les filles ont leur religion ("Dieu était un pénis à mes yeux", dit Annie Sprinkle).

Il y a des idylles, des affaires de famille, des règlements de comptes, des procès en justice. Et des pénétrations légales (on appelle cela "infiltrations") : en 1976, deux flics du FBI sont expédiés à Miami avec godemichés et appétits factices. Se prétendant vendeurs de jeans, arborant chemises en soie à col ouvert, chaussures en peau de requin et voiture décapotable, ils sont censés traquer les pornographes, qu'ils prendront la main dans le sac aux îles Caïmans.

Dans les années 1980, Traci Lords veut conquérir fric, fun et célébrité. Elle revendique 500 hommes et 200 femmes à son compteur. Mais la fête commence à décliner avec les excès de coke, le sida et les balances. On découvre que Traci la camée est mineure. Avec les années 1990 s'enclenche la litanie des mecs détruits et des nanas broyées, relookées à la chaîne dans l'Idaho par un chirurgien véreux mais expert en silicone. L'une, violée, tranche l'attribut de son partenaire agresseur d'époux au couteau. Dénouement de la saga collective des entrepreneurs de spectacle à l'"impulsion irrépressible". C'est d'ailleurs cette expression qu'employa ladite Lorena pour expliquer son geste castrateur.

Burlesque et tragique, cette histoire est celle d'une industrie pour salles spécialisées et vente sous le manteau. Elle ressemble à celle que décrivit jadis Kenneth Anger dans Hollywood Babylone, plongée dans les coulisses des débuts de la vraie "Mecque du cinéma". Filles faciles, viols de starlettes, orgies, partouzes et crimes de moeurs rythmèrent déjà la naissance de l'industrie cinématographique, justifiant pour les bien-pensants la création du code Hays. Mais surveillé ou pas, sur l'écran ou en coulisses, Hollywood cache un visage obscur, verso de son puritanisme, reflet de son inconscient. Finalement, il n'y a pas d'"autre" Hollywood. C'est toujours le même.

article de Jean-Luc Douin
illustration de Tiago Hoisel

THE OTHER HOLLYWOOD. L'HISTOIRE DU PORNO AMÉRICAIN PAR CEUX QUI L'ON FAIT de Legs McNeil et Jennifer Osborne. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire Debru. Allia, 786 p., 29 €.

in http://www.lemonde.fr

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