28.04.2011 par Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir
Depuis quelques jours, une nouvelle inquiète certains spécialistes, qui débattent sur des sites comme celui du département d’ingénierie de l’université de Berkeley (1) ou qui réclament des éclaircissements et surtout des données – que « le gouvernement [américain] doit avoir, je le pense », estime ainsi Arnie Gundersen, déjà cité dans ce blog (2). Que se passe-t-il ? Voilà une semaine, a été annoncé par l’organisation « Low level radiation campaign » (LLRC (3)), que « de l’uranium issu de Fukushima a été détecté en Californie », après analyse des données recueillies par l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA),.
La LLRC explique que des « niveaux élevés d’uranium ont été trouvés dans les filtres dont l’EPA dispose dans le Pacifique nord », et qu’elle a réanalysé des « données récentes publiées sur le site RADNET de l’EPA pour les Iles Marianne (à 2800 km au sud de Fukushima), Hawaï, la Californie et Seattle » (les données de RADNET sont détaillées en pièce jointe sur le site de la LLRC). Cette reprise des données, montrées sur un graphe permet de voir clairement la baisse des niveaux (mesurés en nanobecquerels [milliardièmes de becquerels] par m3), quand on s’éloigne du Japon, en passant par les îles, puis à Hawaï, enfin à Seattle et en Californie (où les mesures dépassent tout juste le bruit de fond). D’où l’inquiétude immédiatement exprimée, selon laquelle “le Japon est bien plus fortement contaminé que tous ces sites, comme nous l’avons prédit. » Et la LLRC d’insister : “ Il est extrêmement préoccupant qu’aucune donnée concernant uranium et plutonium n’ait été publiée par les autorités du pays ».
De son côté, l’ingénieur nucléaire Arnie Gundersen – sur une vidéo postée ce 26 avril – reprend ces données concernant l’uranium et –sans citer de sources, du moins pour l’instant – mentionne que du « plutonium a été retrouvé en poudre fine » ainsi que de « l’américium [un produit de fission] en Nouvelle Angleterre » (New England, région du nord-est des Etats-Unis). Ces remarques survenant à l’occasion d’une nouvelle analyse qu’il propose d’un moment très particulier de la catastrophe de Fukushima, qui ne manque pas d’intriguer depuis le 14 mars, celle de l’explosion phénoménale qu’a connue l’unité 3 de la centrale. Nous nous interrogions le lendemain (4) sur ce qui avait bien pu se passer, comment une telle explosion (très verticale et puissante, emportant des débris et des éléments très sombres, explosion très différente de celle de l’unité n°1) avait pu se produire, nous demandant « si le cœur du réacteur était à l’air », ce qui aurait constitué d’emblée un accident majeur. Aujourd’hui, l’ingénieur américain fait une nouvelle hypothèse, pour laquelle l’avis des autorités de sûreté ayant planché sur la question serait intéressant à connaître – alors qu’elles semblent aujourd’hui très en retrait sur l’analyse de l’accident (5) contrairement aux premiers temps de la catastrophe, par exemple en France l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) qui s’est un temps penché ouvertement sur la très préoccupante question de l’unité n°3 (6).
Selon Arnie Gundersen (7), une première et violente réaction hydrogène (venue des dégagements dans le réacteur n°3) aurait provoqué une onde de choc ébranlant les combustibles dans la piscine n°3. Dans ce combustible à la géométrie bouleversée, aurait alors eu lieu une réaction nucléaire « prompte » (une divergence prompte qu’on pourrait comparer à une sorte de micro-explosion nucléaire). Avec pour résultat principal la désagrégation de morceaux de combustible et l’envoi dans l’atmosphère de toutes sortes d’aérosols contenant des produits de fission. Certains ayant ensuite voyagé par delà le Pacifique.
Toutes ces hypothèses sont graves. Sur le site de l’université de Berkeley, sous la question « Le site du llrc est-il exact ? (Is the llrc site accurate?) » certains contestent que les uranium (234 et 238) détectés en Californie viennent forcément de Fukushima, évoquant la possibilité qu’ils émanent de certaines centrales à charbon chinoises ou de tornades de poussière renvoyant dans l’atmosphère des particules issues des essais nucléaires militaires… Pour un autre commentateur, la seule vraie preuve serait « la détection de plutonium » (car cet élément n’existe pas naturellement) jusqu’aux Etats-Unis.
Le soupçon de secret, de non livraison de chiffres importants continue ainsi de prévaloir et d’alimenter ce qui pourrait, à terme – si ce n’est déjà le cas – compromettre définitivement l’acceptabilité du nucléaire. Pendant ce temps, alors qu’un article particulièrement virulent vient de sortir dans le New York Times (8) sur la corruption pratiquée par TEPCO envers les politiciens japonais (« 4 personnalités officielles ayant rang de ministre sont devenues vice-présidents de la compagnie »), pour la collusion entre agence de sûreté, opérateurs et politiques depuis des décennies dans l’archipel, l’opérateur de Fukushima Daiichi annonce ses nouvelles évaluations : le réacteur 1 aurait fondu à 55%, le n°2 à 35% et le n°3 à 30%. Quant aux mesures de plutonium sur des échantillons près de la centrale, elles sont de l’ordre de 0,2 Bq/kg (9).
3) http://www.llrc.org/index.html. Cette organisation a été lancée par Christopher Busby, scientifique britannique connu pour ses positions très actives – et controversées- contre les dangers des « très faibles doses » de radioactivité.
5) Selon l’AIEA (agence internationale pour l’énergie atomique), ce 27 avril, « de la fumée blanche continue d’être émise par les unités 2 et 3 » et « 70 000 tonnes d’eau de très haut niveau de radioactivité continuent de stagner dans le sous-sol des bâtiments turbine des unités 1,2 et 3 ». http://www.iaea.org/newscenter/news/tsunamiupdate01.html
6) Aucune analyse nouvelle sur le sujet n’a ainsi été publiée par l’IRSN depuis le 20 avril.
7) Voici ce qu’il dit sur sa vidéo : « A plausible reason is that a hydrogen acute reaction started which then caused the shock wave which started to move and distort the nuclear fuel. The distorsion of the nuclear fuel in the pool creates a prompt nuclear reaction which then blows the rubble out of the pool up in the plume and creates the energy needed to create a dramatic event that we are seeing at Fukushima unit 3.”
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