L'Otan, demandeur d'emploi
par Jean-Dominique Merchet
L’Alliance atlantique se cherche de nouvelles missions et adopte un nouveau « concept stratégique » pour l'après-Afghanistan.
L'Otan, qui fêtera ses 62 ans en avril prochain, devrait approcher tranquillement de l'âge légal de la retraite. Il n'en est rien : l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord espère même s'offrir une seconde jeunesse à l'occasion du sommet des chefs d’État et de gouvernement des 28 pays membres, vendredi 19 et samedi 20 novembre, à Lisbonne (Portugal).
Un nouveau « concept stratégique » devait y être adopté. Il vise à redonner du sens à une organisation en pleine crise d'identité depuis la disparition de son meilleur ennemi, l'Union soviétique. Le dernier « concept » avait été approuvé en 1999, au moment du conflit du Kosovo, lorsque l'Otan bombardait la Serbie. Depuis lors, le 11 septembre 2001 et la guerre d'Afghanistan ont changé la donne stratégique. Et, en 2009, la France a réintégré le commandement de l'Otan, mettant fin à la politique d'indépendance gaullienne qui prévalait depuis 1966.
Engagée dans le bourbier afghan, l'Otan a pour priorité désormais de s'en extraire avec le moins de casse et, si possible, avec un semblant de victoire politique. Sur ce dossier, les alliés restent pieds et poings liés aux décisions de l'administration américaine. Or, celle-là a préféré attendre le mois de décembre pour revoir sa politique afghane : c'est dire l'importance qu'elle accorde aux décisions du sommet de l'Alliance atlantique !
Pour Barack Obama, la priorité absolue est que les boys commencent à rentrer au pays avant la campagne présidentielle de 2012, c'est-à-dire courant 2011. Pour l'Afghanistan, Washington décide en fonction de son calendrier électoral et les alliés suivent...
Et après l'Afghanistan ? L'Otan se cherche du grain à moudre. C'est la raison d'être de ce « concept stratégique », un document rédigé par un groupe d'experts placés sous la houlette de Madeleine Albright, l'ancienne secrétaire d'Etat de Bill Clinton. Ils ont dressé un catalogue de menaces que l'Alliance atlantique doit pouvoir affronter. Un vrai fourré-tout : terrorisme, prolifération balistique et nucléaire, blocage des approvisionnements en pétrole ou attaques informatiques. N'y manquent que le péril jaune, l'invasion des criquets et la fièvre aphteuse...
Questions taboues
Le principal dossier examiné à Lisbonne est celui de la défense antimissile. Si Barack Obama a stoppé le projet de George Bush d'installer des systèmes en Pologne et en République tchèque, les Etats-Unis n'ont pas renoncé à tout déploiement en Europe. Loin s'en faut. Il s'agit toujours de pouvoir intercepter quelques missiles balistiques assez rudimentaires en provenance du Moyen-Orient - d'Iran, par exemple. Des études vont être lancées pour 200 millions de dollars et les industriels européens, dont les français MBDA, Astrium ou Thaïes, veulent profiter de la manne. D'où le ralliement du bout des lèvres de Nicolas Sarkozy à ce projet otanien. Reste que l'enjeu est d'abord politique : comme pour la dissuasion nucléaire, la question est de savoir à qui appartient le doigt qui appuierait sur le bouton ? Pour détruire un missile en vol, la décision doit être prise en quelques minutes. Ensuite, les débris, qui peuvent être radioactifs, retombent... Où ? En Russie, par exemple. Des questions qu'aucun dirigeant européen n'ose aborder de front, en continuant à faire comme si, en cas de menace immédiate, ils auraient vraiment voix au chapitre.
in Marianne n° 709 du 20 au 26/11/2010
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